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Nous avons le plaisir de vous proposer un article de Saïd Chaaya apportant un éclairage sur les troubles récent au Liban, et le vent de révolte qui y gronde.

 

 

Le Liban : triple dimension d’une révolte

 

Il y a trois semaines, le Liban entrait en éruption : protestations et révoltes contre le système de corruption institutionnalisée et décadence de l’État. L’opposition à un pouvoir impuissant, qui a durement dégradé la qualité de la vie quotidienne, unit les manifestants de tous bords. 

Le moment est fort en émotion. Il est grave aussi de conséquences pour l’avenir d’un pays déjà affaibli par 1,5 millions de réfugiés syriens depuis 2011, qui s’ajoutent aux populations chassées de Palestine en 1948, accablant tout espoir de développement durable. La liesse populaire observée dans les rues, prépare mal à un réveil qui ne sera que difficile après trois décennies de prévarications par des politiciens, dont une majorité de seigneurs de guerre protégés par les autorités religieuses, toutes confessions confondues. L’impunité des crimes financiers contre la nation et contre les citoyens a atteint son point de non-retour, en sorte que le libre-échange économique est aux abois. Assurément, le changement est-il en marche. Reste à savoir quelles en seront les modalités et s’il sera vraiment réalisé.

Un tel souffle de révolte n’est compréhensible, que dans le contexte au Proche Orient de déstabilisations et de déstructurations des institutions de l’État, de redéfinition des frontières, de nouvelles répartitions des populations, toutes choses au profit d’un projet qui semble chaque jour plus clair. Les revendications de justice sociale, en vue d’obtenir davantage d’équité, n’est pas propre au Liban, ni même au seul Proche Orient. Le monde depuis la révolution numérique demande plus de transparence alliée au respect de l’individu et de son travail. Il est vrai que les malversations et la corruption ont conduit à une quasi faillite de la République libanaise, menant les citoyens à n’avoir plus confiance en leurs gouvernants.

Tout bien observé, j’estime que la révolte commence en février 2019 avec la mort de Georges Zreik, qui s’est immolé faute de pouvoir payer la scolarité onéreuse de sa fille dans une école chrétienne. Ce geste a sonné le glas du féodalisme clérical et de ses privilèges moyenâgeux, car il disparaîtra bon gré mal gré avec le système de corruption dont il a su profiter et qu’il a si longtemps défendu et soutenu. Depuis ce tragique acte de désespoir jusqu’à la révolte d’octobre, chaque semaine a été marquée par un incident ou une crise, soulignant combien tous les voyants sociaux et économiques étaient au rouge. Autre fait marquant : en juillet l’interdiction du concert prévu à Byblos d’un groupe estampillé immoral et blasphématoire par l’inquisition, tant musulmane que chrétienne. La liberté au Pays du Cèdre a connu un sacré échec, et la jeunesse a accusé le coup, mais pas pour longtemps. Comment expliquer à nos jeunes éduqués, que leur pays a porté le flambeau des libertés dans le monde arabe dès la première moitié du 19e siècle, mais qu’en 2019, subitement, un conseil d’hommes en robes asphyxient leur expression et leur avenir ? Ces mêmes qui protègent les corrompus, qui ont mené le pays au rang du taux d’intérêt le plus élevé sur l’USD, détruisant l’économie réelle (industrie, agriculture, commerce, services) poussant le pays à l’endettement record, donc au chômage et au paupérisme.

Le volet socio-économique de la révolte ne devrait pas nous distraire d’une réalité régionale, à savoir que le Liban vit au rythme des feux brûlant au Proche Orient, en particulier du fait de ses deux voisins belligérants, la Syrie et Israël. L’un le veut sous tutelle ; l’autre le veut terrain conquis. Aucun des deux paraît avoir compris, ce que signifie le respect d’une frontière, ni ce qu’implique pour les autres nations la souveraineté d’un État, membre fondateur de l’ONU et de la Ligue Arabe. Le Liban par sa diversité est vu comme antithèse du modèle de l’exclusion. En conséquence de quoi, le Liban paye chaque fois double mise, en ajoutant à ses problèmes internes le malheur de la déstabilisation venue de l’extérieur. Les résultats de la guerre en Syrie, avec les influences opposées de l’Iran et de l’Arabie Saoudite, ont frappé le Liban en entraînant une dichotomie de la classe politique, qui à maintes reprises a paralysé toute avancée comme toute décision positive. Ainsi une majorité de Libanais sont convaincus, que la seule solution acceptable pour préserver ce qu’il faut bien regarder comme l’archétype de la démocratie au Proche Orient, serait la neutralité absolue et positive du Liban !

L’aspect régional du problème, qui vient d’être évoqué, rappelle par contrecoup que le concert international demeure très équivoque sur la question du retour des réfugiés syriens dans leur pays natal. Inutile de mentionner ici, qu’il en va tout autrement dès lors qu’il s’agit de prendre en considération le cas des réfugiés, qui actuellement bouleverse l’Europe tout entière ! Pour ce qui nous retient ici, tout laisse à penser que c’est là monnaie d’échange utilisée lors de négociations, visant à faire pression sur les Libanais, serait-ce à leur détriment !

 

Après, ou plutôt avec l’aspect social et économique du problème, et avec les difficultés engendrées par la présence des réfugiés sur le sol libanais, un troisième point fondamental doit retenir l’attention, qui lui non plus n’est pas absent du souffle des révoltes. Celles-ci, en effet, coïncident avec les découvertes de champs de gaz et de pétrole, objets de toute attention avec l’approche de l’ouverture à leurs exploitations. Les appétits et la cupidité sont à leur apogée, et un peu partout dans le monde on s’en préoccupe. Il convient donc de poser les questions qui ouvrent le champ de la réflexion. À qui profite le chaos au Proche Orient ? Le vide institutionnel et étatique au Liban est-il une diversion nécessaire ? Faut-il croire qu’une guerre est inéluctable pour s’approprier le pétrole en Méditerranée ? Celui qui alors détiendra le pétrole et le gaz, contrôlera-t-il les provisions énergétiques de l’Europe ? 

Le moment présent de l’histoire marque la fin d’un équilibre fragile dans les relations internationales, qui a prévalu au long de la décennie. Aujourd’hui, on ne peut que constater une montée du fanatisme et de l’extrémisme en tous lieux. Le Liban au carrefour d’un monde en mutation n’en ai pas exempt. À lui aussi, il lui faut faire une mue. Les transformations nécessaires doivent être entreprises en tenant compte des trois points susmentionnées, puis menées avec force et vigueur, mais dans la fidélité aux traditions patrimoniales qui ont fait la grandeur du Liban : le respect de la diversité, le pluralisme accepté dans le partage du pouvoir et donc la Tolérance envers tous ! Le changement est une constante de l’histoire. Darwin écrit : « ce n’est pas le plus fort de l’espèce qui survit, ni le plus intelligent ; c’est celui qui sait le mieux s’adapter au changement. » Sans hésitation, les mois à venir prouveront ou non si les maîtres de l’adaptation au Proche Orient sont ceux qui y ont introduit la modernité et le progrès, les Libanais !

 

Dr. Saïd Chaaya

Historien

 

Mots-clés : Liban – Révolte – Révolution – corruption – Iran – Arabie Saoudite