Maître de conférence EPHE
Courriel : jean-luc.lambert [a] ephe.psl.eu
Jean-Luc Lambert est, depuis 2003, maître de conférences à la section des sciences religieuses de l’École Pratique des Hautes Études où il est titulaire de la maîtrise de conférences « Courants religieux du monde russe et russisé (XVIIIe-XXe siècles) ». Il est membre du GSRL (UMR 8582) et dirige le Centre d’Études Mongoles et Sibériennes (EPHE) depuis 2007.
Après une thèse en anthropologie centrée sur l’analyse comparée des rituels dans les sociétés samoyèdes et ob-ougriennes (ouest Sibérien) soutenue à Paris X-Nanterre en 1996 et dirigée par Roberte Hamayon, Jean-Luc Lambert a consacré en 2002-2003 une monographie au chamanisme nganassane, un petit peuple nord-samoyède de l’Arctique réputé pour son « grand chamanisme ». Dans les années 1990, il a vécu près de deux ans en Russie afin de mener de multiples enquêtes sur le terrain nganassane et de travailler dans les archives.
Les sociétés sibériennes sont intégrées dans l’espace politique russe depuis des siècles et les plus occidentales d’entre elles entretiennent des échanges économiques avec les Russes depuis près de mille ans. Il serait ainsi illusoire de les étudier en niant ce contexte socio-politique et la question des interactions avec le monde russe doit donc être posée. Les stratégies autochtones d’adaptation ont été variées, certains groupes sibériens, comme les Nganassanes, ont opté pour une solution privilégiant un isolement relatif tandis que d’autres n’ont pu, en raison de leur situation géographique, que se confronter au monde russe, les Ougriens de l’Ob en sont le meilleur exemple. Et c’est précisément dans ces groupes ob-ougriens que le « renouveau religieux » est le plus tôt attesté en Sibérie, avec de spectaculaires « fêtes de l’ours » organisées dès la perestroïka sur le modèle de celles effectuées du XIXe siècle jusque dans les années 1930.
Pour pouvoir analyser ces systèmes de rites et de représentations locaux, Jean-Luc Lambert a ainsi choisi de les appréhender dans la durée et il s’intéresse en particulier à leurs transformations depuis le XVIIIe siècle. En Russie, la question de l’impact de la colonisation et des campagnes d’évangélisation sur les systèmes religieux locaux, et plus largement celle des interactions politiques et religieuses entre les Russes et les peuples non-slaves animistes, n’a été que très peu étudiée. Pourtant, à l’analyse, ces questions sont essentielles.
Principaux axes de recherche
Rituels d’État
Jean-Luc Lambert a été amené à travailler de manière large, et dans la longue durée, sur les relations entre le pouvoir russe et les peuples autochtones depuis leur intégration dans la Russie, notamment sur les formes rituelles mises en place par le pouvoir depuis le XVe siècle pour tenter de contraindre les autochtones à reconnaître sa domination et à s’assurer de leur fidélité, les pratiques juratoires ont dans ce cadre joué un rôle majeur. Les stratégies globales ont été comparables depuis les peuples de la Volga jusqu’aux Mongols et pour l’ensemble des peuples sibériens. Restituées dans leur contexte socio-politique, ces stratégies russes d’intégration permettent de penser la manière dont le colonisateur gérait l’altérité culturelle à laquelle il était confronté. Ces rituels imposés par l’État ont pu avoir, quand ils étaient efficaces du point de vue autochtone, un impact inattendu et sont parfois même à l’origine de nouvelles élaborations religieuses locales durables.
Réception et réappropriation du christianisme
L’analyse du système de rites et de représentations des Ougriens de l’Ob a, de son côté, montré que celui-ci s’est profondément transformé au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, en relation avec les campagnes d’évangélisation massives et forcées du premier quart du XVIIIe siècle. Ainsi, les jeux de l’ours, le rituel ougrien le plus voyant depuis le XIXe siècle et qui précisément a resurgi à partir de la fin de la période soviétique, adapte, en les transformant, de multiples éléments provenant de l’orthodoxie et plus largement de la culture russe. Des rites renvoyant aux sacrements (baptême, eucharistie) sont par exemple présents dans ces jeux tandis que l’ours est pensé comme étant l’enfant du dieu céleste. Les Russes ne se sont jamais reconnus dans ce miroir déformant que leur présentaient les autochtones, par ailleurs toujours fermement chamanistes. Cet exemple n’est pas isolé en Sibérie, ce qui ouvre de nouvelles perspectives de recherche. Pour comprendre ces jeux ob-ougriens effectués après une chasse à l’ours, Jean-Luc Lambert a en outre mené une étude comparative des rituels effectués en Sibérie en lien avec l’ours brun, ce qui l’a par exemple conduit à s’intéresser aux fêtes organisées par les Nivkhs ou les Aïnous au cours desquelles un ours élevé est mis à mort.
Épopée et chamanisme
Les jeux de l’ours ob-ougriens ne sont que l’un des deux versants du nouveau système religieux qui se met en place entre la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle, l’autre, plus discret, est fondé sur des rituels effectués sur des sites cultuels en forêt et dans lesquels la performance épique joue également un rôle essentiel. Jean-Luc Lambert a ainsi entrepris diverses recherches non seulement sur l’épopée ob-ougrienne, mais aussi sur celles, apparentées, des peuples nord-samoyèdes (nénètse, énètse, nganassane) et komi. Les corpus de textes disponibles sont extrêmement conséquents et jamais analysés dans une perspective anthropologique. Si l’analyse des textes épiques permet de mettre en lumière les contradictions auxquelles ces sociétés ont été confrontées et de proposer des solutions pour les surmonter, la pratique épique se comprend en Sibérie à partir du chamanisme. Ainsi l’analyse de l’épopée lui permet de mener de nouvelles recherches sur le chamanisme en tant que tel comme sur la performance épique envisagée dans sa dimension rituelle.
Gestion et représentation de l’histoire des minorités autochtones
La représentation et la gestion de l’histoire des peuples conquis méritent elles aussi d’être étudiées ; en Russie, la question de la « vision des vaincus » n’a encore été que très peu abordée. Dans l’ouest sibérien, le discours autochtone tait les relations guerrières contre les Russes, ces conflits sont documentés par les sources russes, alors que le chercheur dispose de très nombreux récits sibériens sur de supposées guerres interethniques, racontés tant par les vainqueurs que par les vaincus. Si l’histoire coloniale ne fait pas l’objet de discours, en revanche elle revient ailleurs, notamment dans les rituels et de manière anhistorique, et les Russes peuvent être figurés par des dieux ou par des esprits de la forêt. Il n’y a, de ce point de vue, pas de rupture entre l’époque impériale et les débuts de la période soviétique. Cette gestion de l’histoire demande à être étudiée de manière comparative, en prenant en compte diverses situations concrètes et cela à différents moments historiques de la Russie.
Quelques publications
2017, Direction avec Florence Goyet du volume Auralité : changer l’auditoire, changer l’épopée, 3e livraison du Recueil ouvert, publication en ligne, http://ouvroir-litt-arts.univ-grenoble-alpes.fr/revues/projet-epopee/256-auralite-changer-l-auditoire-changer-l-epopee
2017, « Quand l’attente de l’assistance détermine l’épopée. La performance épique dans le contexte religieux ob-ougrien (Ouest sibérien) », in Auralité: changer l’auditoire, changer l’épopée, 3e livraison du Recueil ouvert, F. Goyet et J.-L. Lambert (eds), publication en ligne, http://ouvroir-litt-arts.univ-grenoble-alpes.fr/revues/projet-epopee/263-quand-l-attente-de-l-assistance-determine-l-epopee-la-performance-epique-dans-le-contexte-religieux-ob-ougrien-ouest-siberien
2016 « Un corps pour le chamane sibérien », Arts sacrés, 34 [Revêtir le sacré], pp. 40-47.
2016 « L’epopea nord-samoieda (Artico siberiano). Come trovare una soluzione al matrimonio in una società diventata opulenza ? » Il Polo, 71/3, pp. 53-65.
2015, « Comment les peuples sibériens ont-ils pensé la conversion à l’orthodoxie » in Françoise Lesourd (éd.), Les mutations religieuses en Russie. Conversions et sécularisation, Slavica Occitania, 41, p. 63-87.
2015 « Les missions orthodoxes du début du XVIIIe siècle vues par les Ougriens de l’Ob (Sibérie de l’Ouest), Représentations et réélaborations autochtones », in Rencontres et médiations entre la Chine, l’Occident et les Amériques. Missionnaires, chamanes et intermédiaires culturels, Shenwen Li, Frédéric Laugrand et Nansheng Peng (eds), Québec, Presses de l’université Laval, pp. 27-51.
2015, Préface de l’ouvrage de Clément Jacquemoud, Les Altaïens. Peuple turc des montagnes de Sibérie (édition française)/ The Altaians, A Turkic People from the Mountains of Siberia (édition anglaise), Fondation culturelle Musée Barbier Müller, Genève, pp. 6-10.
2015 « Devenir ours », in Catalogue de l’exposition Esthétiques de l’Amour – Sibérie extrême orientale, Musée du quai Branly, du 3 novembre 2015 au 17 janvier 2016, Daria Cevoli (éd.), Flammarion/Musée du quai Branly, pp. 134-142.
2014, Direction avec Florence Goyet, Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines 45, Épopée et millénarisme : transformation et innovation, section 1 : L’Épopée, un outil pour penser les transformations de la société, F. Goyet et J. L. Lambert (eds), en ligne http://emscat.revues.org/2265
2014, « L’épopée nord-samoyède (Arctique sibérien). Comment trouver une solution à l’alliance dans une société devenue opulente ? », Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines 45, Épopée et millénarisme : transformation et innovation, section 1 : L’Épopée, un outil pour penser les transformations de la société, F. Goyet et J. L. Lambert (eds), en ligne http://emscat.revues.org/2268
2013, Direction avec Katia Buffetrille, Nathalie Luca et Anne de Sales, de l’ouvrage D’une anthropologie du chamanisme vers une anthropologie du croire. Hommage à l’œuvre de Roberte Hamayon, 768 p. [numéro Hors Série Études Mongoles & Sibériennes, Centrasiatiques & Tibétaines]
2013, « Sans tambour ni costume. Du chamanisme ob-ougrien au chamane », in D’une anthropologie du chamanisme vers une anthropologie du croire. Hommage à l’œuvre de Roberte Hamayon [numéro Hors Série Études Mongoles & Sibériennes, Centrasiatiques & Tibétaines, pp. 65-86.
2012, Direction avec Guilhem Olivier de l’ouvrage Deviner pour agir : Regards comparatifs sur des pratiques divinatoires anciennes et contemporaines [Nord-Asie 3], 265 p.
2012, « Le sabre et le battoir. Guerrier vaincu ou époux d’esprit ? Deux manières de se penser pour agir sur le monde (Ouest sibérien) », in Deviner pour agir : Regards comparatifs sur des pratiques divinatoires anciennes et contemporaines, Jean-Luc Lambert et Guilhem Olivier, eds [Nord-Asie 3], pp. 111-144.
2010, « Masques et représentations dans les jeux de l’ours ob-ougriens (Sibérie occidentale) : Quand la mise en scène de l’altérité revient aux profanes » in Psyché, visage et masques, Jacques André, Sylvie Dreyfus-Asséo et Anne-Christine Taylor, eds, Paris, PUF, pp. 51-75.
2010, « Именем медведя : Эволюция религиозных представлений обско‑угорских народов в XVIII – начале XX в. », Finnisch-Ugrische Mitteilungen 32-33 [Anna Widmer (Hambourg) et Valentin Gusev (Moscou) eds, Gedenkschrift für Eugen Helimski (1950-2007)], pp. 333-359.
2010, « Orthodox Russians, Siberian shamanists and a bear : how do you take an oath in Siberia ? », in Interethnic Dynamics in Asia : Considering the Other through ethnonyms, territories and rituals, Christian Culas and François Robinne, eds, Routledge, London and New York [Routledge Contemporary Asia Series], pp. 143-153.
2009, « Quand le dieu céleste envoie son enfant-ours aux hommes : Essai sur les interactions religieuses chez les Ougriens de l’Ob (XVIIIe-début XXe siècles) », Slavica Occitania 29 [La religion de l’Autre : réactions et interactions entre religions dans le monde russe, Dany Savelli, éd.], pp. 181-203.
2008, Direction avec Dany Savelli de l’ouvrage Une Russie plurielle : Confins et profondeurs. [Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines 38-39]. 555 p.
2002-2003, Sortir de la nuit. Essai sur le chamanisme nganassane (Arctique sibérien). [Études Mongoles et Sibériennes 33-34]. 565 p.
Les résumés annuels de ses conférences à École Pratique des Hautes Études, publiés dans l’Annuaire de l’École pratique des hautes études (Section des sciences religieuses, sont disponibles à l’adresse suivante : http://asr.revues.org/573