Alfonsina Bellio participe à la journée d’études “Mondes post-mortem en devenir”, le lundi 15 novembre 2021. Elle interviendra à 10h sur le thème Les objets, les mots, les corps : exemples de transformation des au-delà contemporains en Italie.
Journée d’études « Mondes post-mortem en devenir »
Lundi 15 novembre 2021
9h00 à 13h00
Salle Grodecki, INHA, 2 rue Vivienne, 75002 Paris
Journée d’études organisée par Caterina Pasqualino et Anna Leone en collaboration avec le Labex CAP, le IIAC et le CRAL.
Cette journée d’études s’interroge sur l’évolution de notre conception de la mort, ainsi que sur la transformation en cours de nos relations aux disparus. Traditionnellement, les liens tissés entre les vivants et le peuple de l’au-delà passent par différents types d’objets : ex-voto, peintures et sculptures, reliques, objets rituels… Ils font remonter à des souvenirs d’enfance, à des sentiments intensément vécus mais enfouis, à une vie rêvée, une aventure, l’engagement pour une cause, une dévotion. Les morts hantent les vivants, leur parlent, transmettent leur aura et stimulent un dialogue intime avec les propriétaires des objets leur ayant appartenus. Dans certaines religions ou traditions thérapeutiques, ces derniers ne restent pas inertes, mais, dotés d’une emprise spirituelle sur les vivants, on leur prête une capacité à agir sur le monde.
L’au-delà constitue une dimension importante de ce dialogue avec les morts. Dans les églises catholiques, du moyen-âge au romantisme saint-sulpicien, de très nombreuses sculptures et peintures évoquaient le paradis, l’enfer ou le purgatoire. Mais l’univers fantasmé des défunts tend cependant aujourd’hui à renouveler les pratiques et les lieux cultuels. Des écrits et des objets votifs apparaissent directement à l’endroit d’un attentat terroriste, à Paris des cadenas sont fixés sur la Flamme de la Liberté devenue stèle commémorative à la Princesse Diana, à l’heure où la pandémie mondiale prive de nombreux individus de rituel funéraire des mémoriaux virtuels de substitution apparaissent sur les réseaux sociaux… Des artistes tel Christian Boltanski ont ainsi proposé des dispositifs transformant la nature des objets votifs…
Pour étudier ces bouleversements en cours survenant dans un domaine habituellement attaché à des traditions séculaires, nous proposons de croiser les approches d’anthropologues, de théoriciens de l’art et d’historiens. Cette journée rassemblera des chercheurs appartenant au CRAL, au IIAC, ainsi qu’à d’autres centres de recherche travaillant sur l’émergence d’un nouvel imaginaire lié à la mort.
Programme :
9h00 : Accueil des participants
9h15 : Caterina PASQUALINO, directrice d’études (IIAC – CNRS – EHESS)
Mots de bienvenue et d’introduction
9h30 – Pierre-Antoine FABRE, directeur d’études (CéSor – CEHTA – EHESS)
Deux scènes dans le temps : l’église et le musée de Civray
Je voudrais tenter un raisonnement à partir de deux expériences voisines, dans le même village charentais de Civray, celle du contact d’un os de renne sculpté et celle de la contemplation d’une fresque partiellement effacée. Deux voyages dans le temps et deux confrontations soudaines avec le monde des morts, entre lesquelles un lien profond s’est progressivement tissé, dans ma mémoire.
10h00 – Alfonsina BELLIO, directrice d’études (GSRL – EPHE)
Les objets, les mots, les corps : exemples de transformation des au-delà contemporains en Italie
À partir de cas ethnographiques, cette présentation abordera les transformations contemporaines de l’imaginaire autour de la notion d’au-delà en Italie, au prisme des échanges vivants-morts. La nourriture, les images, certains objets ou objets-paroles et, parfois, des corps d’intermédiaires demeurent tels des éléments-clés de cette relation. En parallèle, de nouvelles pratiques du dialogue avec le non-visible s’instaurent et les réseaux sociaux en deviennent à la foi les lieux et les moyens.
10h30 Anna LEONE, chercheuse post-doctorante (CRAL – IIAC – LabEx CAP)
Niveler les morts. Une promenade dans les ruelles de Naples
Dans les années 1970, dans différents ossuaires à Naples, les dévots pratiquaient un rite d’adoption des têtes de mort. Les autorités ecclésiastiques interdirent ce rite en ce qu’il conduisait, d’après eux, à une adoration d’ossements humains inconnus, alors que pour l’église catholique seule l’adoration des restes des saints est admissible. De nos jours, dans l’hypogée d’une église où ce rite était jadis pratiqué, les têtes de morts sont encore entourées par des objets et des images de morts et de saints. De la même façon, de nombreuses photographies de morts entourent les portraits des saints ou de la vierge exposés dans les édicules votifs que l’on retrouve dans les ruelles de Naples. L’année dernière, dans la presse locale, on a assisté à un débat sur certains de ces édicules dédiés à de jeunes criminels tués par la police. Des peintures murales représentant ces mêmes jeunes ont été alors effacées par les autorités civiles. Ces images témoignent-elles d’une adoration de morts communs, voire de criminels ? Sont-elles l’indice d’une confusion entre les saints et les morts proches ? En observant les niches de l’église dédiée aux âmes du purgatoire et certaines niches votives dans les rues, leur structure et la façon dont elles sont remplies par les dévots, on peut dégager une conception particulière de la mort.
11h00 – 11h30 pause
11h30 – Katerina KERESTETZI, chargée de recherche, (LAS – CNRS)
Collectionneurs de morts : réseaux d’esprits matérialisés dans les religions afro-cubaines
Au cours de leur vie, les pratiquants des religions afro-cubaines et tout particulièrement ceux du palo monte et du spiritisme syncrétique, se constituent un réseau parfois important de relations avec des esprits des morts : morts familiaux mais aussi morts anonymes trouvés dans des cimetières, morts archétypiques (gitans, artistes, indiens, commerçants arabes …), morts imaginés, initiateurs, sorciers et célébrités décédées…. La composition de ce réseau, de cette collection d’esprits, est propre à chaque pratiquant, à son parcours personnel, sa personnalité, ou simplement au hasard. Ce qui est spécifique aux religions afro-cubaines est que ces morts s’incarnent dans des objets de toutes sortes : pierres, photos, poupées, ou objets rituels fabriqués dans le but précis de redonner un corps à ces êtres désincarnés. Exposés dans des lieux réservés de l’habitat ou dans les pièces de vie, certains de ces objets font la fierté des pratiquants. La rareté de certains d’entre eux, notamment lorsqu’ils sont associés à un personnage célèbre, comme un initiateur légendaire, un chanteur fameux, un politicien est également source de prestige et de pouvoir pour celui qui les possède. Lors de cette communication, nous décrirons les différents processus et dynamiques qui participent à la création de cette communauté d’esprits matérialisés. Nous verrons aussi que les motifs qui conduisent un pratiquant à s’attacher à un objet sont loin d’être exclusivement liés à sa fonction rituelle ou sa nature spirituelle.
12h00 – Caterina PASQUALINO, directrice de recherche (IIAC – CNRS – EHESS)
Dialoguer avec les morts à Cuba
L’ex-mari de Yamilka, Leonardo, a quitté Cuba il y a dix ans pour immigrer en France en emmenant avec lui leur fils Odin âgé de neuf ans. Restée seule sur l’île, Yamilka, la quarantaine, douée de médiation avec l’au-delà, est devenue prêtresse mortera. Son activité principale est aujourd’hui de dialoguer avec les morts pour tenter de résoudre les problèmes de ses clients. Lorsqu’elle tente d’apaiser sa propre douleur générée par l’absence de son enfant, elle recourt pour elle-même à des séances de possession dans lesquelles l’esprit d’un défunt, Negro bruto, lui permet de le rejoindre par-delà les océans. Des objets comme une poupée et un vase constituent un microcosme rendant possible la communication entre Yamilka, son fils Odin, Negro Bruto e sa mère décédée. Pour ce faire, elle se laisse porter par les “fantômes de sa mémoire” (assenti), ces individus morts ou partis émigrer sur des terres lointaines. Cette enquête fait l’objet d’un film dans lequel il est montré comment ces fantômes apparaissent à Yamilka et comment celle-ci en détecte la présence concrète.
12h30 – Conclusions et clôture par Caterina Pasqualino et Anna Leone