Premier atelier préparatoire au colloque « Construire et déconstruire les sciences sociales : les défis du « religieux » », octobre 2022
Atelier coordonné par Pierre Antoine Fabre et Sepideh Parsapajouh
11 juin 2021 – 14h -18h, en visioconférence (voir lien ci-dessous)
Patrimonialisation, muséification
Le point de départ de cette réflexion est la volonté de faire toute sa place aux institutions muséales dans la construction des sciences sociales – de l’anthropologie tout spécialement – en Europe (le Musée de l’homme par exemple) comme hors d’Europe (le Musée anthropologique de Bogota, par exemple). Quelles ont été les vertus – du point de vue de la conservation des choses comme de leur exploration savante – mais aussi les limites de ces entreprises ? La muséification rencontre sur son chemin la revendication puissante de la restitution. Mais cette réflexion peut également conduire à une interrogation plus radicale sur la nature même du « musée » : où commence-t-il ? Quelles sont les limites entre « un musée » et un « trésor » (d’Église par exemple) ? Le musée implique-t-il, culturellement, une rupture consommée avec toute approche cultuelle ? Peut-on, dans le cadre de la préparation d’un colloque sur la construction / déconstruction des sciences sociales, cartographier la diversité des « styles muséaux » dans leur rapport au travail des sciences sociales ? Le musée protège-t-il de ces sciences, ou pour ces sciences ? Quand et où ? L’objectif de cet atelier serait d’arrimer ces questions sur ces lieux concrets, qui puissent faire l’objet d’enquêtes précises.
Programme :
14h :
Introduction
14h15 :
Pierre-Antoine Fabre (EHESS-CéSor)
Présentation de l’ouvrage de Amada Carolina Pérez Benavides, Nosotros y los otros. Las representaciones de la nación y sus habitantes 1880-1910, Bogotá: Universidad Javeriana, 2015.
14h30 :
Renata Menezes (Professora associada do Departamento de Antropologia, Museu Nacional, Universidade Federal do Rio de Janeiro)
Quelles sont les vitrines pour les objets religieux ?
Dans ma présentation, je compte évoquer certaines spécificités de la patrimonialisation et de la muséalisation d’objets religieux, dont le caractère sensible est reconnu par les institutions patrimoniales elles-mêmes. Les conflits ou controverses autour de la possession et l’exposition d’objets religieux sont extrêmement pertinents pour discuter le droit à la propriété des biens spéciaux et les politiques de représentation culturelle et nationale qui les entourent. En ce sens,
j’insisterai sur le caractère stratégique des “choses religieuses” pour produire la distanciation, la «dénaturalisation» et la suspension du processus d’objectivation qui marquerait la modernité elle-même, c’est-à-dire la séparation radicale entre sujet et objet.
14h45 :
Benoit de l’Estoile (Centre Maurice Halbwachs, CNRS-EHESS)
Objets religieux, sacrés ou rituels dans les musées: considérations préliminaires
Le fait de qualifier certains des objets conservés dans les musées de « religieux », « sacrés », « rituels » ou « magiques » entraîne un certain nombre d’attentes, qui ne sont pas les mêmes selon les divers contextes nationaux. En particulier, on peut opposer une revendication du « musée laïque », particulièrement nette dans le monde des musées français, à des pratiques, notamment dans le monde anglophone, qui favorisent une place pour le religieux, voire donne lieu à des revendications de « resacralisation du musée ».
15h :
Michel Boivin (CNRS-Ceias) :
La muséification du Sindh au Pakistan et en Inde : Une dynamique de consensus ou de dissensus ?
Après le départ des Britanniques en 1947, l’Inde et le Pakistan devinrent indépendants. La province du Sindh, majoritairement musulmane (70%), rejoignit le Pakistan, et environ un million d’hindous sindhis migrèrent en Inde. Cette présentation posera les jalons d’une réflexion sur les objectifs de la muséification du Sindh, au Pakistan et en Inde, sa nature et ses entrepreneurs : à quelle nécessité la muséification répond-elle, et de quoi est-elle faite? Quelle représentation du Sindh ses entrepreneurs veulent-ils en donner et pourquoi ? Dans un contexte de rigidification des appartenances religieuses, la dialectique entre l’héritage et l’identité permettra d’observer si cette dynamique de muséification produit un consensus communautaire entre musulmans et hindous, ou des représentations irréconciliables conduisant à un véritable dissensus.
15h15 :
Ksenia Pimenova (GSRL – F.R.S. FNRS/Belgique) :
Musées comme sites rituels. Objets, acteurs, atmosphères de religiosité (deux musées des républiques autochtones de la Sibérie (Russie)
Cette intervention partira du constat de changements récents dans la présentation d’objets bouddhiques et de restes humains ancestraux dans deux musées des républiques autochtones de la Sibérie (Russie). Je proposerai d’abord une ethnographie brève d’acteurs (scientifiques séculiers et croyants) qui contribuent à conceptualiser ces musées créés pendant la période soviétique comme des espaces de relations possibles avec les ancêtres et les divinités. Je réfléchirai ensuite sur les scénographies comme assemblages complexes, humains et matériels, qui créent les paysages sensoriels familiers aux pratiquants et les « atmosphères affectives de
religiosité » (Wanner 2020). En conclusion, m’inspirant en particulier du travail de Sonja Luehrmann (2009, 2011), j’aborderai les musées comme des espaces de tensions et d’affinités entre le séculier et le religieux.
15h30 :
Isabelle Charleux (CNRS – GSRL – EPHE/PSL) :
Un musée dans un monastère bouddhique au XIXe siècle ? Le cas du « temple d’exposition » de Danzanravjaa en Mongolie
En Asie intérieure où une majorité de la population pratiquait le pastoralisme itinérant, la culture matérielle était relativement réduite, à l’exception de celle d’une institution qui a introduit une logique d’accumulation : le monastère bouddhique. Les monastères mongols stockaient dans des « trésors » (sang, jas) quantité d’objets périssables (thé, beurre…) et non périssables (statues, objets liturgiques, mobilier, statues et textes abîmés…) généralement reçus en offrandes. Par ailleurs, un type de temple appelé Nandin shüteen (« précieux objets de culte ») conservait les icônes les plus sacrées à l’abri des regards ; même les moines ordinaires ne pouvaient les voir. Elles étaient parfois montrées dans des occasions particulières.
Au XIXe siècle, un grand maître réincarné rassembla une collection d’objets divers (icônes, cadeaux diplomatiques, reliques de contact, curiosités naturelles) et fonda dans son monastère du Gobi un « temple d’exposition » à but éducatif ouverts aux laïcs. Le temple était géré par un tahilch (moine en charge des offrandes) qui faisait également office de guide. Ces tahilch (terme qui en est venu à signifier aujourd’hui « conservateur de musée ») auraient également développé des techniques de conservation complexes. Peut-on parler d’un premier musée, comme l’affirment aujourd’hui les Mongols, et cette pratique d’exposition était-elle unique en Mongolie et dans le monde bouddhique en général ? Les objets exposés étaient-ils « muséifiés », ou certains continuaient-ils à recevoir un culte ? Les icônes étaient-elles appréciées pour leur valeur esthétique et non seulement religieuse ?
15h45 :
Lewis Ampidu Clorméus (Université d’État d’Haïti/ ICOM Haïti) :
L’expérience du Bureau National d’Ethnologie : vecteur d’un discours identitaire
Le Bureau d’Ethnologie d’Haïti est créé en 1941. Le décret-loi qui lui donne naissance le charge de la préservation du patrimoine archéologique et “ethnographique” d’Haïti (sans pour autant définir ce qu’est un “objet ethnographique”). Cette communication revient d’abord sur le contexte de sa création (campagne anti-vodou menée par l’Église catholique, émergence du nationalisme culturel, intérêt pour l’archéologie…). Ensuite, il s’agit d’aborder les raisons ayant poussé à la création d’un petit musée au sein du Bureau. Cette entité a été une vitrine pour les tenants du nationalisme culturel qui entendent mettre en exergue le poids de l’héritage culturel africain (et, dans une moindre mesure, amérindien) dans la société haïtienne.
16h :
Annabelle Collinet (Muée du Louvre) :
L’art islamique au prisme des musées de beaux-arts et d’arts décoratifs européens
Dans le cadre d’une réflexion sur la patrimonialisation et la muséification du religieux, je propose d’apporter des éléments sur la création des institutions muséales et sur l’intégration des “arts musulmans” en leur sein, avec la question du regard, surtout décoratif, porté sur les objets et partant, celle du changement de sens des objets lorsqu’ils intègrent un musée. Leur contexte d’usage fonctionnel et symbolique est comme gommé par leur nouvelle vie muséale. Dans la longue histoire de l’art islamique au musée, se pose de plus en plus aujourd’hui la question de l’interprétation des objets (que sont-ils dans leurs usages passés ?) et à mon sens, celle de l’art dévotionnel. En effet, la notion d’art islamique comme recouvrant le religieux est un sujet qui a été souvent effacé, voire rejeté dans les musées de beaux-arts. Par ailleurs, les objets eux-mêmes peuvent recouvrir un aspect dévotionnel, mais ce sens peut aussi glisser au cours de leur existence pré-muséale (leur statut peut changer suivant leur lieu d’usage, leur histoire, leur passage au statut d’objet mémoire ou de relique). Enfin, sera abordé le thème des musées d’art islamique fondés en Iran et au Proche-Orient, sur le modèle des musées européens : par effet miroir, l’invention européenne de l’art islamique y fut largement transférée.
16h15 :
Cyril Isnart (CNRS-IDEMEC)
Trois projets autour de la patrimonialisation du religieux
La mise en patrimoine du religieux constitue une caractéristique marquante de nombreuses confessions contemporaines. Se saisissant de cette dynamique déjà ancienne et remarquée par les sociologues des religions, nous présenterons trois projets menés dans les dernières années qui ont pour but d’éclairer les fabriques sociales de la catégorie “patrimoine religieux”. Un ouvrage collectif, The Religious Heritage Complex. Legacy, conservation and Christianity, publié en 2020 chez Bloomsbury et dirigé avec Nathalie Cerezales, l’axe comparatif du Chantier scientifique Notre-Dame du CNRS et du Ministère de la culture, consacré à l’étude des effets de l’incendie de la cathédrale parisienne de 2019, et l’organisation d’un séminaire sur les matérialités des minorités en Europe et en Méditerranée avec le Mucem, permettront de montrer comment l’anthropologie, en dialogue avec d’autres disciplines et le monde du patrimoine, peut interroger ce qu’il se passe lorsque le fait religieux et le fait patrimonial se rencontrent.
16h15 -18h :
Question-réponses et discussions
Le lien zoom :
https://us02web.zoom.us/j/83899997410?pwd=Si9nU0tSeTFKd3BNSGcza0JRaUZBZz09