Résumé:
Depuis 2012, l’Église Orthodoxe a mis en place des missions, par l’intermédiaire d’un unique prêtre, et sur son initiative, dans le district nanaï, à l’Extrême-Orient de la Russie. Pendant ses missions, le prêtre orthodoxe choisit d’utiliser des éléments culturels et rituels nanaïs de deux façons interdépendantes : d’une part il les réinterprète en termes chrétiens, et d’autre part, il montre la complémentarité des pratiques nanaïes et orthodoxes. Ainsi, plutôt que de faire une démonstration de force religieuse, lors de laquelle le dieu chrétien serait mis en compétition avec les esprits nanaïs, comme ont pu le faire certains missionnaires auparavant, le prêtre opte plutôt pour le compromis de façon à induire la perception d’une continuité historique. Dans le même temps, les Nanaïs ont recours aux rites orthodoxes afin de traiter leurs morts en l’absence de chamanes et certaines représentations chrétiennes sont graduellement incorporées dans le registre mythique de façon à satisfaire leur enjeu chamanique, c’est-à-dire la négociation constante entre les humains et les esprits. L’un dans l’autre, le prêtre et les Nanaïs parviennent à proposer une alternative au chamanisme au moyen d’un spécialiste religieux arrangeant. Accepter certains éléments de la pratique orthodoxe apparait alors comme un compromis adéquat pour prévenir ce que les Nanaïs perçoivent comme une « perte de culture » tout en permettant la continuité des pratiques chamaniques. Un mouvement de va-et-vient entre la forme et le fond est ainsi illustré par l’identification de deux ensembles de pratiques, un nanaï (chamanique) et un orthodoxe. La perception autochtone contemporaine des missions est liée à la présence pré soviétique de l’Église Orthodoxe. Cette présence apparait alors comme un aspect de la culture nanaïe qui peut être sauvée, au contraire du chamanisme qui est vu comme en voie de disparition. À titre de comparaison, les implantations missionnaires protestantes évangéliques font état, quant à elles, d’une volonté de rupture beaucoup plus marquée avec la culture nanaïe.