Responsable : Denis Pelletier
Problématique et objectifs
Deux convictions fondent la proposition de ce programme de recherches :
- Pour des raisons qui tiennent tant à la conjoncture politique internationale qu’à l’évolution du rapport entre les sphères intime et publique dans les démocraties contemporaines, la question de l’engagement au nom de convictions religieuses est redevenue un enjeu politique et scientifique. Le retour dans nos sociétés d’une violence perpétrée au nom de la religion d’un côté, les récentes mobilisations autour de la question du mariage entre personnes de même sexe de l’autre, constituent les manifestations les plus évidentes ce cet enjeu renouvelé. On peut rappeler, aussi, que le retour de la guerre en Europe au cours des années 1990 avait mis en évidence la capacité maintenue du religieux à donner sens à des affrontements nationalistes. Toutefois, en-deçà même des figures de la « radicalisation » ou de la « violence au nom de la religion », les acteurs de terrain, notamment dans les professions liées à l’enseignement, à la santé et à l’accompagnement social, sont désormais régulièrement confrontés à des personnes auxquelles l’appartenance religieuse fournit des ressources de sens, rarement exclusives mais pas pour autant secondaires, pour trouver leur place au sein de la cité. Cet état de fait prend à contre-pied plusieurs modèles de compréhension du fait religieux dans les sociétés modernes tels qu’ils ont été pensés, sur le mode du déficit ou de la perte : sécularisation, exculturation, désenchantement…
- Cet enjeu mérite d’être saisi à partir d’enquêtes de terrain, en laissant place à la parole des acteurs, en travaillant sur leurs engagements, en donnant à ces derniers l’épaisseur d’histoire dont les agents eux-mêmes ne se savent pas toujours porteurs ou qu’ils invoquent à partir de lectures manipulatoires. C’est donc à la rencontre entre histoire et sociologie que nous souhaitons construire ce programme, dans une perspective qui donne toute son épaisseur anthropologique à la question du politique. La recherche qui se fait à la rencontre entre sociologie religieuse et sociologie politique se renouvelle profondément, depuis quelques années, grâce à une génération de jeunes chercheurs, de mieux en mieux intégrés aux réseaux internationaux, et qui vont sur le terrain chercher des réponses aux questions que les macro-modèles explicatifs ne permettent plus d’éclairer. En histoire, plusieurs signaux vont aussi dans le sens d’un renouveau : l’intérêt manifesté pour le contemporain par des historiens médiévistes et modernistes, que les événements mobilisent, conduit à mobiliser à nouveaux frais le rapport entre la longue durée et l’événement ; l’histoire du XIXème siècle se renouvelle profondément depuis une quinzaine d’années, après un temps d’effacement devant la vogue du temps présent ; la question de la place du fait religieux dans l’histoire de l’Europe contemporaine est désormais largement posée, tant à partir du christianisme majoritaire qu’à partir de la place des minorités juives et musulmane dans la construction d’une appartenance commune. On soulignera enfin combien l’étude du fait religieux ne relève plus désormais du seul monopole de « spécialistes » du religieux.
On souhaite donc, dans ce programme, poser la question des motivations religieuses d’actrices et d’acteurs engagés dans l’espace public, des modalités de leurs engagements et de leurs effets politiques et sociaux. Formulé à partir du GSRL, ce programme ne peut être indifférent aux enjeux liés à la laïcité. Le brouillage entre la sphère intime et la sphère publique, à partir duquel nous pensons depuis une quinzaine d’années les difficultés actuelles de la laïcité, mérite sans doute d’être analysé comme un des principes de recomposition de la sphère politique, à l’épreuve notamment des enjeux de genre et de construction des identités collectives et individuelles. Autrement dit, si l’on a eu raison de saisir la question des motivations religieuses de l’engagement dans la sphère publique sous l’angle de la crise, il convient aussi de l’aborder comme une donnée constitutive de cet engagement, de s’interroger sur ses héritages, ses voies de renouvellement, les risques et les chances qu’elle porte, dans une perspective internationale et comparative.
Le choix de l’aire euro-américaine tient à une évaluation des forces disponibles au sein du GSRL, aux relations qu’il a nouées au plan international, au souci de se positionner en complémentarité des programmes existants. Il ne conduit pas à oublier la donnée de fond que constitue la « globalisation » des modalités d’appartenance religieuse et ses effets différenciés au sein des confessions religieuses. Il impose un cadre : celui d’un espace fondé dans l’articulation souvent conflictuelle entre appartenances chrétiennes (orthodoxie, catholicisme et protestantismes) et processus de démocratisation. Les catégories à partir desquelles s’est développée la recherche académique s’en ressentent. Pour autant, cet espace se construit aussi dans la confrontation entre appartenances majoritaires et minorités religieuses. Les engagements militants formulés à partir de ces dernières valent d’être étudiés pour eux-mêmes, et pour la différence qu’elles permettent de mettre en valeur au regard d’engagements majoritairement chrétiens. Ils valent aussi comme observatoires, ou comme laboratoires, de phénomènes plus vastes. À titre d’exemple, on peut estimer que, de même que l’histoire de la « renaissance intellectuelle juive » européenne des années 1880-1930 permet de poser à peu près toutes les questions qui concernent la construction culturelle et politique de l’espace européen contemporain, de même l’évolution de la sphère politique européenne depuis trente ans peut s’éclairer à partir de l’histoire et de la sociologie des engagements au nom de l’islam.
Champs d’investigation
Sous réserve d’un inventaire effectué au cours des premières séances du programme, trois types d’engagement retiennent notre attention :
- Intellectuels / théologiens / experts : trois types d’engagement qui ont en commun la revendication d’un savoir et/ou d’une responsabilité spécifiques servant de médiation à l’engagement, mais dont chacun noue une relation spécifique entre l’appartenance religieuse et la sphère publique.
- Activistes et militants, engagés sur le terrain social ou sur le terrain politique, et dont l’étude peut notamment être conduite au regard de l’extension progressive de la logique démocratique de la sphère politique à la sphère sociale, voire à la sphère intime.
- Hommes et femmes de religions, professions religieuses : prêtres et rabbins, pasteurs et imams, religieux et religieuses, et toutes personnes conduites à se mettre professionnellement au service d’une institution religieuse.
Un certain nombre de thématiques transversales nous paraissent importantes : on pense notamment à la question du genre comme double observatoire, de la relation du religieux au politique et des écarts entre les différentes confessions religieuses ; à la problématique des « registres de mobilisation » héritée de Charles Tilly et qui demeure à nos yeux éclairante ; à celle du « community organising » qui nous vient depuis quelques années de la sociologie anglo-américaine. D’autres pistes émergeront certainement au cours du travail.
Modalités de fonctionnement
- Le mode de fonctionnement est celui, classique, d’un programme de recherches : séminaires communs selon une périodicité régulière, confrontation des travaux en cours et invitation de collègues extérieurs, tables-rondes thématiques, soutien du programme à ses chercheurs s’engageant dans un projet de recherche à l’échelle nationale ou européenne. On souhaite également se donner l’occasion d’entendre des acteurs de terrain.
- Une attention particulière sera donnée à l’ouverture du programme de recherches à des chercheurs extérieurs au GSRL, notamment dans la perspective de la mise en place d’un pôle de sciences sociales des religions, avec nos collègues de Paris I, de l’EHESS et du CNRS, sur le futur campus Condorcet.
- Enfin, on souhaite mener une politique de « dissémination » des résultats de la recherche, et des débats ouverts, en s’appuyant notamment sur un certain nombre de sites internet déjà existants : celui du GSRL, bien sûr et en priorité, ainsi que celui de l’IESR, institut rattaché à l’EPHE ; mais aussi ceux des associations professionnelles de chercheurs (AFHRC, AFSR) et des revues scientifiques. L’évolution du métier de chercheur, depuis deux décennies, sous l’effet de l’internationalisation de la recherche, des réformes de structure auxquelles nous sommes associés, de la transformation de nos relations avec l’espace public et les milieux professionnels, conduit à repenser la fonction de ces différents « lieux » de la recherche professionnelle. Nous souhaitons que ce programme joue son rôle dans cette réorientation.
Liste des membres
Chercheurs et enseignants-chercheurs : Joëlle Allouche-Benayoun, Valérie Assan, Valérie Aubourg, Jean Baubérot, Patrick Cabanel, Martine Cohen, Jean Laloum, Séverine Mathieu, Sophie Nordmann, Philippe Portier, Romain Sèze, Brigitte Sitbon-Peillon, Florence Rochefort, Detelina Tocheva, Corine Valasik, Jean-Paul Willaime, Paul Zawadzki, Valentine Zuber.
Doctorants : Antoine Alexandre, Morvarid Ayaz, Pierre Baudry, Hicham Benaissa, Jonathan Bensaïd, Eric Berthiaume, Petru-Lucian Cirlan, Aldo-Marie Codo Toafode, Jean-Noël Delaporte, Lola Druilhe, Benjamen Duinat, Muharrem Ekinci, Giulietta Faiella, Sylvie Fontayne, Francesca Ghezzi, Diane-Sophie Girin, Denise Goulart, Carmen Grabuschnig, Carlotta Gracci, Diletta Guidi, Huang Guanqiao, Renaud Laby, Anne Lancien, Jorge Karel Leyva, Louis Percy, Stéphanie Maffre, Denis Malherbe, Fabio Morin, Maryam Mouzzouri, Lola Petit, Andriamahay Randriamananjanahary, Thibault Tekla, Laurent Tessier, Gabrielle Thiry, Sevim Uluhan Gulcan, Martial Vildard, David Vincent, Zhang Shusheng.
Chercheurs post-doctorants : Esaneh Bagheri, Ludovic Bertina, Maryam Borghee, Stéphanie Boutevin, Jean-Claude Buttier, Isabelle Depret, Samuel Everett, Matthieu Gervais, Muriel Guittat-Naudin, Louis Hourmant, Emmanuel Kreis, Laurie Larvent, Stéphane Lathion, Paul Wissam Macaron, Gwendoline Malogne-Fer, Dorra Mameri, Gwendoline Malogne-Fer, Gian-Carlo Marcocci, Bérengère Massignon, Alexandro Milani, Salim Mokaddem, Aurélien Mokoko-Gampiot, Alexandre Piettre, Jonathan Richard, Anne Ruolt, Sarah Scholl, Sara Teinturier, Eric Vinson, Clémentine Vivarelli
*
***
*